BYE BYE JOHNNY
(photos de Alain Hiot contact alain.hiot@wanadoo.fr )


La nouvelle m ’a pris de plein fouet comme un crochet du droit de Mike Tyson, me laissant dans un état bizarre, mélange de tristesse et de fatalisme.

Le 16 juillet 2014, Johnny Winter s’est éteint dans une chambre d’hôtel de Zurich, étape de sa tournée européenne. Il avait 70 ans. Pas si vieux que ça. Pas si jeune non plus, compte tenu des excès passés et de l’état de santé du bonhomme. Il est vrai que l’on avait craint le pire à une époque. Quelques années en arrière, on croyait même qu’il n’en avait plus pour longtemps (Johnny assurait ses shows en fauteuil roulant). Et puis il s’était requinqué et nous avait encore balancé quelques galettes, certes moins fumantes que par le passé, mais toujours d’une bonne qualité. Et même s’il n’était plus trop au top sur scène, on pouvait raisonnablement penser que le père Winter avait franchi encore un cap. Manque de bol, la Faucheuse l’attendait au tournant, prudente et implacable, ayant tant de fois raté notre gratteux favori.

Pas facile de rendre hommage à une telle légende. Par quoi commencer ? Par sa biographie ? Tout le monde la connaît, ou presque. Il est né en 1944 dans l’état du Mississippi (tiens donc) mais a été élevé à Beaumont au Texas. Il est albinos, tout comme son frangin Edgar, lui aussi musicien. Il a connu les délires des années soixante, a jammé avec Jimi Hendrix et a vécu une courte aventure avec Janis Joplin. Il a participé au festival de Woodstock bien qu’il ait toujours nié y avoir joué, sans doute trop défoncé ce jour-là (il a bien fallu qu’il se rende à l’évidence devant les bandes filmées récemment retrouvées). Il a croisé le manche avec le grand Muddy Waters, son idole de toujours, et a produit ses albums de 1977 à 1981, replongeant ainsi cet immense artiste sous le feu des projecteurs (Muddy lui-même clamait haut et fort que Johnny était son fils spirituel). Il a carrément craqué lors d’une méga tournée américaine et est resté plusieurs mois en repos forcé, la simple vue d’une guitare le mettant dans une fureur extrême (il fracassait l’instrument contre le mur). Il a survécu à la dope et à la défonce, a rampé dans le noir de l’oubli puis a resurgi, le corps couvert de tatouages, signant chez Alligator Records au début des années 80, pour nous distiller un blues-rock brûlé au soleil du Texas et nous en mettre plein les oreilles lors de ses shows inoubliables (entre autres, 1987 à l’Olympia et les deux concerts consécutifs de février 1989 à la Cigale).

Voilà où je l’avais laissé. C’est vrai, je l’avoue, je l’avais un peu laissé tomber mon Jeannot l’Hiver. Il avait sorti un chouette disque en 1992, suivi d’un show démentiel à l’Olympia puis plus rien. Plus de nouvelles (Internet n’était pas encore développé en France à cette époque). Quelques années plus tard, la sortie d’un album live m’avait rempli d’allégresse mais j’avais été fortement déçu à son écoute. Le jeu de Johnny était ralenti d’un bon quart. Plus d’avalanche de notes inspirées ou de solos débridés. La maladie avait-elle rattrapé Johnny ? Apparemment, car les années 2000 avaient vu notre héros bien mal en point. Alors, j’ai décidé que je n’irai plus le voir en concert. Pourquoi ? Tout simplement par lâcheté, par égoïsme. Je n’aurais pas supporté de voir un de mes guitaristes favoris, que dis-je, mon guitariste favori, dans un tel état (en 2010, un de mes potes avait quitté la salle en pleurant). Pourtant, ces dernières années, à chaque passage de Johnny dans la capitale, j’ai toujours combattu un horrible pincement au cœur ainsi qu’une sévère crise de conscience (j’irai ? J’irai pas ?). Et les arguments qui tombaient en cascades (c’est un petit bout de Texas à Paris… il a bien besoin de soutien… c’est ton idole… etc…). Mais je m’en suis toujours tenu à ma décision initiale. Et maintenant, c’est fini ! Il est mort ! IL EST MORT ! J’ai du mal à l’écrire et encore plus à le croire. Et pourtant, au fond de moi, je ne suis pas surpris. Dans le tourbillon de ces décennies de folies, Johnny a failli calancher une bonne dizaine de fois. Là, c’est fait. Dommage pour lui, dommage pour nous. Il appartient désormais à la légende. La presse spécialisée, qui l’a si longtemps ignoré, se fendra peut-être de quelques lignes, voire de quelques pages (pour tout magazine qui se respecte). Quelle importance ? Nous sommes attristés, anéantis, malheureux. Qui viendra nous chatouiller les esgourdes avec ce jeu de guitare si particulier, aussi infernal qu’inspiré ? Qui nous apportera joie et bonheur à chaque sortie d’un nouveau disque ? Qui nous abreuvera de ces solos magnifiques, diamants étincelants, mélanges de technique de haut vol et de feeling incroyable ? Qui nous donnera l’envie de raccrocher notre guitare au mur après un concert mémorable ? Qui ?

Peu de personnes s’en rendront compte mais c’est un génie de la six cordes qui nous a quittés. Ce superbe guitariste est mort en vrai rocker : sur la route, la gratte à la main (ou presque).

Concernant Johnny, nous avons tous nos propres émotions et souvenirs. En ce qui me concerne, je me souviendrai toujours de lui, le stetson vissé sur la tête, sa longue crinière blanche ondulant dans la lumière des projecteurs, chantant le refrain de « It’s all over now » la clope au bec. Et quand il a laissé tomber sa Firebird avant d’attaquer « Mojo Boogie » … la gratte n’était même pas désaccordée. Et quand il a tapé le bœuf avec Dr John… Et quand il nous en a mis plein la vue sur le solo de « It ain’t just like a woman » sur la scène de la Cigale… Et quand… Et quand… Rideau !

En effet, “It’s all over now”. Tout est bien fini. Nous n’irons plus à l’Olympia, notre idole s’en est allée… Ainsi qu’une partie de notre jeunesse.

Bye Bye Johnny ! On ne t’oubliera jamais !

Olivier Aubry

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